Benjamin
Le Marathon de Rotterdam, au bout de mes forces
- avril 16, 2019
- , 1:46
- , Running
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C’est l’histoire d’un rêve, d’une exaltation, d’une envolée, d’une chute, d’une désillusion. C’est l’histoire de 42,195 kms qui devaient être une fête, et qui se sont transformés en chemin de croix. C’est l’histoire d’une fusée qui a brûlé son carburant trop vite, et s’est retrouvée à flotter dans le vide. C’est l’histoire de mon marathon de Rotterdam, le 7 avril 2019. Mais ça n’en reste qu’une histoire, une mésaventure, sur un chemin bien plus grand et à l’horizon plus radieux.
Les voyants au vert
Chaque chemin est semé d’embûches, de creux dans la vague. Un grain de sable peut parfois venir gripper une machinerie bien huilée, des rouages bien alignés.
Tout semblait pourtant parfait. Une préparation au top, intense mais adaptée et qui portait ses fruits. Un état de forme du tonnerre. Un parcours idéal, une foule en folie. Restait cette chaleur matinale qui ne me plaisait guère, mais pas de quoi m’effrayer outre mesure. Non, tout semblait pour le mieux. Enfin presque. Il y a une chose qui me turlupinait, me mettait un peu le doute. Mon ennemi durant cette course, ce ne serait pas la chaleur, la fatigue, les jambes, les kilomètres. Ce serait moi-même.
Malgré toute ma préparation, je me savais partir avec un léger problème : mon incapacité constante à gérer mes allures. Une incapacité qui m’a au final bien aidé durant ma préparation. Des fractionnés faits plus rapidement que prévus, des blocs sortie longue à vitesse plus élevée que sur le papier. Tout cela m’a aidé à aller chercher un niveau que je n’espérais pas. Mais qui aujourd’hui pouvait s’avérer un sérieux handicap, voire fatal. J’ai peur de ne pas réussir à ralentir autant qu’il le faut pour préserver mon énergie, de me sentir trop facile et d’aller trop vite sans m’en rendre compte. La course du Grand Paris le week-end précédent, même si elle validait une préparation qui m’a clairement fait changer de niveau, était flippante tant mon allure était bien au-dessus de celle visée sans que je ne m’en rende compte. Une allure en 3’43/km tout en douceur, presque sans effort. Fascinant, mais flippant.
Premiers kilomètres, premiers excès
9h, j’arrive dans le centre-ville de Rotterdam, mon sac consigne à la main. Celui-ci rapidement déposé, je me lance dans un petit footing échauffement très tranquille pour rejoindre la ligne de départ. 9h30, je suis dans mon SAS, et visiblement dans les premiers, si bien que je me place de suite très proche de la ligne de départ. Il fait déjà chaud, 14°. Je m’hydrate donc régulièrement avec la bouteille que j’ai prise avec moi. Le départ approche, je me retrouve à à peine 2 mètres de la ligne avec des semi-pros. Une espèce de Johnny local enflamme l’ambiance par une reprise d’un de ses grands succès. Soudain, boulet de canon, et nous partons déjà, sans que je n’ai vraiment eu le temps de m’en rendre compte.
Je pars tranquillement (du moins selon mes standards), ne souhaitant pas perdre trop d’énergie sur la montée du pont qui nous fait face. Une foule importante est déjà là pour nous acclamer, ça promet pour la suite ! Je bascule sur la descente du pont de l’autre côté, et m’attend naturellement à ce que mon allure s’élève sans effort supplémentaire. 3’40 à la montre. Horreur, je met le frein à main directement.
Dès lors, ce sera une longue lutte contre ma tendance naturelle à adopter une allure très légèrement supérieur à celle visée. J’essaie de me fixer des points de repère, de trouver des personnes courant à peu près aux 4’/km voulus. Je trouve une première personne à qui me raccrocher, la suit quelques kilomètres. Mais me rend compte que là encore l’allure est trop irrégulière. Je lâche, double quand la coureuse que je suivais rétrograde en 4’05, me raccroche à nouveau à un nouveau coureur repère. Et ce faisant les kilomètres passent, mais les coureurs m’entourant sont au final aussi irréguliers que moi. Je passe donc mon temps à légèrement me freiner constamment dès que je jette un coup d’oeil à ma montre. C’est là toute l’horreur de la situation : je suis bien, très bien même, à un rythme que je trouve relax avec l’excitation du moment, et pourtant les chiffres semblent dire tout le contraire. Courir tout en retenue semble donc être devenu trop rapide, damned.
Je franchis le 10e kilomètre toujours avec une impression de relâchement, pas la moindre fatigue dans les jambes. 39 min et quelques au chronomètre, terriblement trop rapide. Je continue, et me conforte peu à peu dans cette allure trop élevée. Le problème vient aussi que désormais ne se trouvent autour de moi plus que des coureurs évoluant à un incroyable niveau, des coureurs semi-pros au vu de leur numéro de dossard. Même si je m’en défends et tente de garder mon propre rythme, l’aspiration des athlètes m’entourant doit avoir un imperceptible effet qui m’entraîne dans une course à allure démentielle.
Je franchis ensuite allègrement le 15e km, toujours avec facilité. Il fait beau, la foule est géniale, tout va bien pour l’instant. Je prends mon gel, j’ai confiance en ma performance, même si mon allure m’inquiète quelque peu. Le passage du semi se fait là encore sur un chronomètre incroyable, à peine 1h22 sans peiner. Démentiel.
Premières difficultés
Pourtant, à cet instant, je ne sais si c’est psychologique avec cette barre de la moitié de course, si c’est la chaleur qui commence à taper, si ce sont les faux plats montants qui se font sentir, mais je ressens un léger coup de moins bien. Très léger, presque imperceptible, en apparence sans conséquence, mais de ces petites fluctuations qui laissent poindre un doute dans l’esprit. Je découpe la course : encore quelques kilomètres, puis la re-traversée du pont et du fleuve, et ce sera partie pour la grosse dernière portion, celle où la course commence vraiment.
Je retrouve rapidement mon allant, et continue à débouler vers le 25e kilomètre. Là, au pied du pont, je reprends un gel, et m’élance au milieu des cris des supporters. La montée, bien que restant légère, me paraît déjà un peu plus compliquée qu’à l’aller.
Je reviens dans le centre-ville, m’engouffre dans les larges avenues. Et c’est là que je comprends que nous allons devoir affronter… un tunnel. Donc je ne fais pas Paris pour m’éviter la redoutable portion des tunnels, mais je vais tout de même devoir m’en manger un. Sans faire bien mal aux jambes, il met quand même à mal mon énergie qui commence à vriller. Nous en sommes à 28 kms, les deux tiers, et je sens, je comprends, je ressens, que la suite va être très compliquée. Je n’en suis plus à me dire qu’il reste 12 kms, mais plutôt à découper en me disant que je dois d’abord aller au 30e kilomètre, puis lutter jusqu’au 35e et ensuite advienne que pourra. Une lutte après l’autre, qui deviendra bientôt un kilomètre après l’autre.
Panne de carburant
A partir du 30e kilomètre, je sens que je suis grillé, out, déjà à bout d’énergie. Tel Icare, me croyant bien malin, je me suis envolé trop haut, alors que le soleil est si chaud. Tel Icare, j’ai volé, je me suis brûlé, carbonisé. Et tel Icare, la chute n’en est que d’autant plus rude.
Il est difficile vraiment de décrire cette sensation à ceux qui ne l’ont jamais vécu. C’est un sentiment diffus, le ressenti de ne plus pouvoir avancer, que chaque pas demande un effort considérable, tant physique que mental. On se sent amoindri, sans réellement savoir pourquoi, à quel endroit, ce qui cloche vraiment. La pensée se fait plus floue, les jambes plus lourdes indépendamment de toute douleur musculaire, le mental plus fluctuant. On ne sait vraiment localiser une douleur, un point sur lequel se focaliser, c’est l’ensemble de la machinerie qui dysfonctionne.
La suite ne sera alors plus qu’un long calvaire, un enfer au milieu des arbres. Au mental, je vais chercher les kilomètres, les centaines de mètres, les uns après les autres. Je me remémore mes séances de préparation, les plus difficiles notamment, pour me motiver. Je n’ai pas fait tout cela pour lâcher maintenant. J’ai vécu tellement plus difficile. Mon semi mené avec des jambes de bois dès les premiers kilomètres, avec un RP à la clé. Mes fractionnés cavalés dans la douleur. Mes blocs de sortie longues terminés quand l’ennui se mêlait à l’épuisement. Je me convaincs, intimement, au fond de moi, que je peux le faire, que je dois le faire, qu’il ne faut rien lâcher. Il ne peut en être autrement.
Lutte entre corps et mental
Les minutes s’écoulent, les secondes, tout paraît si long. Je me force à ne pas regarder trop souvent la montre, pour ne pas me décourager. Et pourtant, à chaque fois que je regarde, à peine quelques centaines de mètres se sont ajoutés. Tout mon corps crie, de manière diffuse, de s’arrêter, de lâcher. Qu’il serait bon de s’allonger là dans l’herbe, ou encore de marcher. Tout cela ne tient plus maintenant qu’à un mince fil pour que je ne m’arrête, ce fil si ténu qui seul porte encore mon corps épuisé : le mental. Car je continue à me raccrocher à l’idée que je dois continuer, kilomètre après kilomètre, poser mon cerveau et ne pas me poser de question.
Et cela marche. J’ai volontairement quelque peu diminué l’allure pour économiser le peu d’énergie qui semble me rester dans quelque partie cachée au fond de moi-même (pour une fois que j’arrive à ralentir). Ne nous enflammons pas non plus, je n’en reste pas moins à au moins 4’10/km.
Les kilomètres s’accumulent, lentement, très lentement. J’atteins le 35e kilomètre, prends mon dernier gel, espérant qu’il me redonne un dernier supplément d’énergie. Peine perdue, il est déjà trop tard. Mes derniers souvenirs datent du passage au 36e kilomètre. Je me rends compte que j’ai parcouru, dans la douleur, autant de kilomètres depuis que je suis mal qu’il ne m’en reste à faire. Terrible. Je me dis alors que je ne vais jamais y arriver, que je vais m’arrêter.
Le cerveau semble donc avoir choisi ce moment pour décrocher, pour laisser le soin à mon mental de prendre en charge le reste tout seul. Je ne me souviens de rien de ce qui suit, à peine quelques bribes, sensations, sans que je ne sois sûr de la véracité de quoique ce soit. Seule ma fidèle montre et l’étude approfondie de ses statistiques me permet de retracer la suite.
Quand le corps lâche
Il semble donc que malgré tout mes jambes aient continué en mode pilote automatique encore un peu plus longtemps. Ma montre m’indique que j’ai lâché une première fois vers 37,5 kms en m’arrêtant, très exactement 37 secondes, pour ensuite repartir. Oui, repartir, malgré tout, contre tout. Au bout du bout visiblement car les minutes qui suivent indiquent un corps à la dérive, l’allure diminuant inexorablement, jusqu’à 5’/km.
Puis la chute. Brutale. Nette. Un passage de 5’/km à 0 en une seconde qui ne laisse pas de doute sur le fait que je me sois écroulé d’un coup. Entre le corps et le mental, il fallait bien que l’un cède. Ce fut le corps. Un malaise dont je n’ai aucun souvenir. J’ai quelques bribes, très floues, de m’être réveillé allongé par terre dans l’herbe avec du monde autour de moi, ne sachant ce que je faisais là et ce qu’il s’est passé. Rien de plus. Le secouriste qui m’a ensuite accompagné m’a indiqué que je m’étais quelque peu débattu… Pas le moindre souvenir malheureusement.
Je reprends connaissance sur un brancard, avec une perfusion dans le bras, alors que nous quittons les lieux où j’étais allongé, pour la tente de secours. Je demande ce que je fais là, ce qu’il s’est passé, jusque où j’ai couru (important de garder l’objectif en mire jusqu’au bout). Il m’indique ma montre et c’est à ce moment-là que je la coupe enfin : 38,89 kms. Presque au bout. Mais au bout de mes forces et de mes limites assurément.
Je comprends bien que la course est finie, que les rêves de chrono sont loin, mais je passe vite à autre chose pour penser à des éléments bien plus terre à terre. Va-t-on m’emmener à l’hôpital ? Combien de temps vais-je mettre à pouvoir repartir ? Serai-je à temps pour prendre mon train ? Vais-je devoir rester une nuit de plus ici ?
Heureusement je me sens très rapidement mieux grâce à la perfusion de glucose, et me sens déjà prêt à reposer pied à terre. On s’occupe de moi, me donne à boire, me met de l’eau glacée sur les jambes pour éviter les douleurs, prend mon pouls, me pose beaucoup de questions. Très sympathique de devoir discuter en anglais avec des secouristes néerlandais quand on est encore dans les vapes. Certaines choses basiques deviennent alors d’une complexité incroyable à formuler (du genre dire une date de naissance, ou comment se retrouver à dire les chiffres un à un). Quand je pense que jamais autant de femmes ne s’étaient empressées de s’occuper de moi, et je n’en ai même pas profité !
Le pouls revient très vite à la normale, les jambes semblent être assez opérationnelles pour porter ma carcasse amochée. On me relâche assez rapidement, à peine trois quarts d’heure après mon malaise au final. Je prends le temps de sortir mon téléphone pour prévenir mes proches afin qu’ils ne s’inquiètent pas de ne pas me voir franchir le 40e kilomètre.
Final et déception
Puis ne me reste plus… qu’à revenir à pied. Reste encore un peu plus de 2 kilomètres à faire jusqu’à l’arrivée, et vu que mes affaires à la consigne se situent à côté de la ligne d’arrivée… J’hésite à revenir parmi les coureurs, à aller franchir la ligne et aller chercher la médaille. Il ne me semble pas mériter tout cela après un tel échec. J’ai joué, j’ai perdu, et toute la déception est en train de me retomber dessus. C’est terriblement cruel, et ces deux derniers kilomètres s’apparentent presque à une marche de la honte. Mais franchir la ligne permettra au moins d’indiquer à tous ceux qui me suivent sur l’application que je suis bien toujours en vie.
Alors je franchis les barrières, reviens sur le parcours, et entame deux kilomètres de marche pour rallier la fin. Il fait beau, il fait chaud, les jambes ne me font rapidement quasiment plus mal, la foule est en délire. Mais le coeur n’y est pas. Pourtant les supporters sont d’une telle gentillesse, d’une telle ferveur. Des dizaines de milliers de personnes sont rassemblées pour nous acclamer, nous encourager sur la fin du périple. Des centaines de personnes crient mon nom, me poussent à reprendre la course. Une petite fille adorable me prend même ma main et veut que je coure avec elle. Mais je ne souhaite pas prendre de risque. Le chrono est déjà mort, et que me servirait de tenter de relancer les jambes si c’est pour à nouveau m’écrouler dans 500 mètres ?
Je me rapproche, entrevoie l’arche, les cris de la foule sont toujours plus forts, je me remets à courir pour les 200 derniers mètres. 4h08. Un bon chrono pour beaucoup de monde, je le conçois bien, mais tellement décevant par rapport à l’attendu, à ce dont je rêvais. Et surtout, de quelle manière cela s’est produit. Je cours certes pour la performance, aller chercher des chronos, mais aussi et surtout pour le plaisir, et pas me retrouver allongé sur un brancard. Ma déception se transforme alors en larmes en allant chercher ma médaille. Des larmes de désillusion, de rage, contre tout, contre moi, surtout.
Je récupère mes affaires, me change, avale enfin du gras, et laisse derrière moi Rotterdam et une expérience que j’aurais rêvé plus joyeuse.
Et maintenant ?
Il m’a bien fallu 24h pour ravaler mes larmes, évacuer ma déception, digérer cet échec. On pourra me dire qu’il ne faut pas être déçu, mais comme on a le droit d’être heureux quand on fait une performance, on a le droit de prendre également son temps pour vivre une défaite à sa manière.
La préparation avait été belle, le jour J a été terrible. Qu’il en soit donc ainsi. Il y aura d’autres courses, d’autres occasions de briller ou d’échouer. C’est la dure loi du sport, et d’autant plus du marathon. Je suis tombé, j’ai chuté, il convient désormais de se relever.
Tout ce que j’ai fait pour arriver à ce jour J, c’est là que se trouve le positif. Rien n’est perdu. Au contraire, toute l’expérience et la vitesse gagnées, je compte bien en profiter pour la suite. Un mauvais jour, une mauvaise course, c’est juste un orage. Mais ensuite l’horizon s’éclaircit. D’autres objectifs viennent, d’autres défis, certains non liés à la vitesse, certains non liés au running, certains non liés au sport. Et je suis déjà prêt à remonter sur le ring, à retourner au combat. Les baskets sont déjà prêtes, elles n’attendent que moi. J’ai hâte.
Qui suis-je ?
Agenda
En rééducation course et prépa lever de coude