Running plaisir

Redécouvrir le vrai plaisir de courir

Je me promenais il y a quelques semaines tranquillement sur les quais, papotant / me la pétant (rayez la mention inutile) sur mon kilométrage de début d’année et mes défis aussi improbables que cons (2 marathons, un tour des mairies d’arrondissements, un 100 kms en off pour le fun, suis un peu). Quand la charmante personne à mes côtés, sans doute désarçonnée par mes footings alors quasi quotidiens, me pose la question « Mais pourquoi tu faisais tout ça ? ». Euh… J’ai failli m’arrêter de marcher d’un coup. Bah oui tiens, pourquoi ? Petit malaise. Parce qu’au fond, je sens bien que la raison à tout cela est devenue un peu floue, et pas très socialement acceptable. Avec un courage extraordinaire, j’ai donc sorti une réponse honnête mais incomplète : parce qu’en période de couvre-feu et de télétravail c’était ma seule opportunité de sortir de chez moi tôt le matin. Hop, sujet suivant.

Spécialiste que je suis d’éviter les sujets fâcheux, on est tout à fait dans la logique du « tant que je n’y pense pas et que je n’en parle pas, ça n’existe pas ». Oui, mais il faut bien avouer que la question m’est régulièrement revenue en tête depuis. Parce que je me la pose en réalité depuis juin et que mon corps m’a forcé brutalement à stopper la frénésie kilométrique.

C’est paradoxal comme, à force de courir et d’accumuler les kilomètres, on peut pourtant… se perdre en chemin. Tout excès est préjudiciable si on oublie en cours de route pourquoi on a emprunté cette voie. J’ai poussé mon corps et mon mental dans ses retranchements au cours de l’hiver et printemps dernier, non seulement à force de pousser sur une tendinite pré-existante (malin) mais en aussi en laissant de côté la raison principale pour laquelle je cours.

Passer le temps et se trouver des objectifs

Alors, la raison la plus évidente, celle qui me venait en premier, c’était tout simplement parce que cela me permettait en effet de prendre l’air, voir des paysages (ce fameux paysage urbain parisien, ces pots d’échauffement, tout ça), sortir de mon appartement. Et la seule option que j’avais c’était le matin tôt et parfois durant la pause-déjeuner, le couvre-feu intervenant trop tôt par rapport aux horaires de travail. Cela me fournissait ma bouffée d’oxygène pour le reste de la journée, me rendait de bonne humeur, j’avais ma dose d’endorphine et ma soupape de sécurité pour éviter de péter un câble seul à longueur de semaine dans mes 25 m².

L’autre raison, c’est que cela trompait l’ennui. Il faut bien le dire : on s’est sacrément fait chier l’hiver dernier. C’était sympa tout ce temps à pouvoir accumuler les épisodes de séries le soir, très utile pour la culture cinématographique (bon ok j’ai préféré regarder La Flamme plutôt que l’intégrale de David Fincher). Mais c’était sacrément long et répétitif, non ? Désolé, j’aime beaucoup Buffy contre les vampires (super la saison 6), mais j’avais besoin d’avoir l’impression de réaliser quelque chose de mes journées et de mes semaines. Car oui, le confinement et le couvre-feu, ça signifiait aussi pour moi la fin des projets, des sorties, de ce qui fait le sel de l’existence et donne envie de se lever le matin. Je ne sais pas vivre jour après jour si je n’ai pas quelque chose, un projet plus grand que moi, un plan à suivre, une ligne d’horizon à fixer, un objectif auquel me rattacher. J’ai besoin de sentir que j’évolue, que mes journées servent à quelque chose d’autre qu’attendre que le soleil ne se couche pour attaquer une nouvelle journée similaire le lendemain. La routine, le train-train quotidien sans but, c’est chiant, beurk, je n’aime pas cela, ça m’ennuie et me déprime au plus haut point.

Et, il faut bien le dire, courir et additionner les kilomètres, ça ne faisait pas trop mal le boulot. Parce que j’avais conscience que, ce faisant, j’entrainais mon corps et le préparait à endurer toujours plus et des courses plus robustes. Parce que j’aimais l’idée de me sentir capable de m’aligner sur n’importe quel défi personnel sorti de mon esprit tordu. Et donc je me suis trouvé des challenges insolites et ambitieux petit à petit, pour avoir l’impression de réaliser au moins cela dans ma vie, en cette période de torpeur (à la limite de l’hibernation clairement). Et puis en plus comme il m’avait pris l’idée complètement débile de m’inscrire au tirage au sort de la Diagonale des Fous sur un coup de tête, il fallait bien assumer et s’entraîner pour.

100 kms

Orgueil et narcissisme

Alors, ok, pourquoi pas toujours courir plus ? J’ai le temps, puisque je ne peux rien faire de ma vie pour une vague raison de couvre-feu. Et puis il y a plein de gens qui font plein de kilomètres à la semaine, pourquoi ne pourrais-je pas le faire également ? Si je le veux, mon corps en est capable. Ah, l’ego. Et oui, à force de trainer sur Instagram, Strava et consorts, on en vient à normaliser ce qui ne l’est clairement pas, et se lancer dans une compétition narcissique du « je peux faire plus ». Alors oui, ça m’amusait d’aller cumuler toujours plus de bornes et de voir les statistiques s’affoler sur mes comptes (à défaut de remplir mes comptes en banque). J’en suis venu à courir pour juste additionner des kilomètres comme on fait des sommes sur excel, pour la beauté du chiffre. Ayant une calculatrice constamment dans la tête, ce n’était pas bien compliqué de me dire « alors, si je fais tant aujourd’hui, et tant demain, ça devrait me faire ça en total hebdomadaire… Pas mal ! ». Je connaissais par coeur les distances entre un point A et un point B un peu partout dans Paris à force de la parcourir en long et en large. C’est con, c’est narcissique, mais j’avais l’impression de réaliser quelque chose de grand et fort à aller bêtement chercher la dizaine supplémentaire dans le total de la semaine, et à monter à des chiffres extravagants : 165 kms en une semaine, 500 kms en un mois. Toujours plus loin, toujours plus haut, toujours plus fort, hein.

Et puis, il faut bien l’avouer. Même si je faisais ça avant tout pour moi. C’était aussi un peu narcissique quoi. Pour se la péter un peu sur les réseaux sociaux. Allez, avoue que toi aussi t’aimes bien ce petit moment d’orgueil où les gens te félicitent pour ton effort. Franchement, c’est hyper bon pour l’ego ce moment où les gens te disent que t’es trop con et que tu fais des trucs extraordinaires. Déjà parce que ça te fait prendre confiance en toi et que tu te dis que t’es pas mauvais quand même. Et puis aussi d’avoir la lumière et l’attention sur toi, dans une période où le like et le commentaire sont presque les seules interactions que tu as encore. Quand un petit cœur ou pouce bleu devient une nourriture affective sordide mais franchement un peu réconfortante. Et tellement agréable pour l’orgueil. Toi qui lis ces lignes (je pense que vous ne serez pas nombreux, déso, mais si c’est le cas laisse un commentaire #putaclic), avoue, si tu te fais chier à poster des storys à longueur de temps et publier des photos de vacances et de course avec des descriptions pas du tout travaillées pendant 10 minutes… Tu veux vraiment nous faire croire que c’est juste pour la beauté du geste et passer le temps ? Non. Ca permet de créer du partage, de faire réagir les potes sur ta vie, se rappeler à leur bon souvenir, discuter avec des nouvelles personnes, donner un peu de soi et se faire connaitre, se livrer, créer un lien plus ou moins (superficiellement) intime avec ses followers, inspirer et motiver. Oui bien sûr, et c’est ce que spontanément je citerais comme raisons. Mais faut pas se mentir, c’est aussi pour se créer une image magnifiée de sa vie et se la péter sur ses réussites et beaux moments, pour dire « t’as vu comment ma vie est trop bien ? ». Mais combien oseront pour autant y livrer vraiment leurs vulnérabilités et dire comme ici qu’ils aiment la reconnaissance et l’attention qu’ils croient y trouver ?

Il est où le plaisir ?

J’étais heureux et fier de moi d’aller dans ce dépassement de soi qui donnait un but et une compensation à ces mois de solitude plus ou moins bien vécus. Et je suis toujours fier aujourd’hui de ce que mon corps, et surtout mon mental, m’ont permis de faire en ces temps où pourtant le moral n’était pas toujours au beau fixe. Ça me donnait un équilibre qui cachait et me faisait oublier les affres plus profonds portés par des mois à rester seul dans un quotidien vidé de sa substance. En soi, j’ai aimé ces mois où je repoussais constamment mes limites physiques et me prouvait que ma volonté seule était capable de me porter là où je le voulais, quand je le voulais. Sauf que, dans cette course effrénée pour trouver un sens et un but à cette existence vidée de son essence sociale, j’ai perdu de vue la composante primordiale à tout cela : le plaisir.

Je dois l’avouer, au fond de moi je sentais bien que j’avais de moins en moins de goût à ce que je faisais. Aller courir minimum une quinzaine de kilomètres par jour. Faut bien le dire, au-delà de te casser les genoux (et un tendon, tu sais bien), ça te fracasse un peu le mental. Comme si tu attrapais ce mental, cette volonté, et lui cognait la tête chaque jour sur les pavés parisiens en lui criant « Alors, t’as toujours envie ? Tu veux toujours y retourner ? ». C’est franchement assez usant, il faut bien le dire. Mentalement donc, parce que tu ne sais plus tous les jours trop bien pourquoi tu fais ça, et heureusement qu’il y avait les levers de soleil pour se dire « ouais c’est cool quand même ». Et physiquement aussi, parce que je sentais bien mon corps commencer à s’épuiser et fléchir sur les dernières semaines, à force de s’assommer de footings matinaux à jeun.

Mais voilà, à force tu ne te rends même plus vraiment compte, ou de manière très diffuse et lointaine, tellement tu es entraîné dans la force des habitudes que tu t’es créé. J’étais lancé dans une course effrénée à la performance statistique que je n’étais plus capable d’arrêter, un appel de l’ego au toujours plus. Une lutte contre soi-même sans fin et sans retour. Lancé à vive allure et incapable d’appuyer sur le frein. C’était pire qu’être incapable d’arrêter même : c’était être incapable de le vouloir.

Il y avait bien des signes que le plaisir n’était plus vraiment tout le temps là. La lassitude qui venait, de courir, de la foulée, l’envie de se lever le matin pour ça qui laissait parfois à désirer, la fatigue physique profonde, le constant besoin de manger tout et n’importe quoi pour combler les béances créées dans le corps par l’exercice physique obsessionnel. Je n’obéissais plus qu’à un impératif et une attente fixés par soi-même, pour la beauté du geste, pour me prouver quelque chose à moi-même, et pour croire devoir prouver quelque chose aux autres.

Et boum. Le bobo (toujours rien à voir avec le quinoa, running joke depuis trois articles). L’arrêt brutal. La bande d’arrêt d’urgence, clignotants allumés. Les pompiers ont bien du mal à réanimer la victime depuis.

C’est sacrément chiant cette histoire de tendon. Déjà parce que ça fait mal bordel. Parce que c’est un handicap dans la vie quotidienne. Parce que ça m’a coûté un paquet de pognon cette connerie (et c’est pas fini youhou). Et puis parce que je ne peux plus faire ce que je veux.

Every cloud has a silver lining (non c’est pas vrai)

Mais la blessure aura au moins eu un aspect positif. Attention, je ne dis pas que toute chose a du bon, que ce qui ne tue pas rend plus fort (non, ça blesse, tout simplement), ou tout autre poncif du genre qui sert à se rassurer quand on se prend un sale coup sur le coin de la tronche. Mais la blessure redonne toute sa place à la simple beauté de courir pour l’amour de la foulée, le bienfait de l’endorphine, le bien-être de l’activité physique, la bouffée d’oxygène cérébral sur le mental et moral, l’épanouissement personnel, la beauté des paysages, le dépassement de soi (mais pas à outrance et sans but réel), pour le plaisir tout simplement. Ouais putain j’aime courir, vraiment, au-delà de la notion de performance et de toujours aller chercher plus. J’aime ça, et je fais en sorte chaque jour que ça revienne à la normale. J’aime ça, que ce soit sous le soleil, la pluie, en ville ou en montagne, au petit matin ou la nuit. Ok, si ça peut être le long de la plage avec un beau coucher de soleil et une bière qui m’attend à la fin, ça serait parfait. 

Maintenant que le manque et la frustration sont redescendus, mais que j’en suis tout de même réduit à me contraindre et me limiter sur mes envies chaque jour, je comprends et ressens mieux les choses. A quel point il était temps de me reconnecter au plaisir simple d’une balade footing, sans objectif ni but, juste par envie simple de mettre les baskets et s’aérer. La blessure m’aura au moins permis de retrouver mon chemin après avoir égaré la carte plaisir dans les fourrés, en attendant de revenir faire des trucs cons et gambader comme je le voudrais. Et maintenant que j’ai retrouvé le vrai goût de la course, j’ai hâte. Mais sans faire 120 kms par semaine de nouveau quand même, parce qu’apparemment c’est totalement con. 

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