« Tu as des facilités de malade », « Ça doit être dans les gènes », « C’est facile pour toi en fait »,… Ça, ce sont quelques-unes des phrases que je peux entendre parfois après certaines courses, certaines performances, certains défis un peu loufoques. L’idée, l’envie de se raccrocher au fait que je ne partirais pas du même niveau que chacun, que ce serait, je ne sais pas pourquoi, plus facile pour moi que pour d’autres.
Il n’en est pourtant rien. Loin de là. Je ne dis pas que nous partons tous de la même base, que ce soit d’un point de vue génétique, du physique, des habitudes développées depuis le jeune âge, de l’environnement socio-familial,… Mais je ne pense pas faire partie de ceux ayant des « facilités ». Et je vais le montrer. Si j’écris ces lignes, c’est pour montrer à chacun que rien n’est jamais écrit dans la vie, que tout reste possible à force de courage et de motivation, qu’on ne se réduit pas à la personne qu’on a été hier. Tout est possible.
Une histoire de désamour
Soyons très clairs, et ça va sûrement en étonner certains : j’étais nul en sports. Nul à chier. Une bille. Complet. Pas sportif pour un sou, et pas intéressé par ça. Rien à voir avec aujourd’hui.
Je viens d’un milieu familial pas particulièrement sportif, que ce soit physiquement ou télévisuellement. A l’école, j’étais plutôt du genre celui qu’on prend en dernier dans les équipes, dans tous les sports. Celui qu’on ne veut à tout prix pas tellement il est nul et ne sait pas quoi faire d’un ballon. J’étais le stéréotype de l’intello à lunettes, plus porté sur les livres que les matchs de football. Et de toute façon on ne voulait pas vraiment me laisser jouer. J’en ai passé des récréations et des journées seul, ostracisé parce qu’incapable de taper correctement dans la balle.
J’ai détesté le sport. Pendant très longtemps. Parce que j’étais nul. Parce que je ne comprenais pas pourquoi. Parce que j’étais plus doué pour me prendre un ballon dans la tête que pour le garder aux pieds. Parce que j’avais des mauvaises notes. Parce que ça me faisait baisser ma moyenne. Parce que c’était des heures de torture et de moqueries. Parce que je préférais le travail de l’esprit à celui du corps. Parce que ça m’a valu d’être à l’extérieur des groupes d’amis pendant mon école primaire et mon collège, davantage souffre-douleur que camarade de jeu.
J’ai retrouvé mes bulletins de notes du collège et du lycée pour vous montrer l’étendue des dégâts. A chaque fois, le même constat pour mes profs d’EPS : il se donne, il essaie, il ne relâche pas l’effort, mais ça ne fonctionne pas. Un calvaire durant toute ma scolarité. Toutes les personnes que j’ai côtoyées durant ces années pourront vous le confirmer : c’était pas ma tasse de thé.
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Puis apprendre à aimer
J’ai commencé à faire davantage de sport par nécessité. A 15 ans, suite à un déménagement, le vélo est devenu mon meilleur allié pour voir mes amis. Pas mieux à la campagne. Il a fallu pousser sur les cuissots pour faire des kilomètres. Et finalement ce n’était pas si désagréable que ça. Alors, j’ai continué à augmenter le kilométrage, pour voir ce que ça donnait. Pour la beauté des paysages, pour le défi, parce que j’avais enfin l’impression de réussir quelque chose sportivement. C’était plaisant, un mélange d’endurance, de gestion et de mental qui me convenait bien. Les étés suivants m’ont permis de parfaire le tour de cuisse, allant jusqu’à faire des journées complètes avec d’autres adeptes de la petite reine.
Je ne vais pas refaire tout l’historique de ma mise à la course à pieds. Mais en résumé : une vie estudiantine porteuse de kilos en plus, l’envie de se bouger un peu, des premiers runs, des premières courses. Et, de fil en aiguille, je me suis rendu compte que ce n’était pas si désagréable que cela. Et même que je n’étais pas si mauvais pour une fois. Des allures pas extraordinaires, mais pas dégueulasses non plus. Des distances qui s’allongent peu à peu, davantage de vitesse petit à petit, de plus en plus de séances. Et puis un premier marathon, qui marquera un tournant. « Si tu veux courir, cours un kilomètre. Si tu veux changer ta vie, cours un marathon. ». C’est totalement ça. Pour le meilleur et pour le pire. Aïe.
Et de là, les courses, les performances, les trails, les défis cons, les fractionnés, les séances à finir KO. L’engrenage quoi. Classique. Jusqu’à arriver aujourd’hui à toujours davantage repousser mes limites, courir toujours plus, plus vite, plus loin.
Et il ne faut pas croire que, même enfin lancé sur le bon chemin, tout a toujours été facile. Loin de là. Comme tout un chacun, j’ai tenté, j’ai échoué, j’ai chuté. Comme chacun, j’ai galéré à courir 10 kilomètres de suite. J’ai fini avec mode carpette à la fin de certains fractionnés ou sorties longues. J’ai passé toute l’après-midi dans mon lit après avoir fait mon premier 25 kilomètres. J’étais à la ramasse quand j’ai fait mes premiers 16 kilomètres en 4’45 le mercredi soir. J’ai explosé en plein vol sur de nombreuses courses. Je me suis blessé à de multiples reprises. J’ai fait n’importe quoi, j’ai galéré, j’ai pris des mauvaises directions. J’ai fini sur une civière avec une perfusion dans le bras.
Derrière chaque beau chrono, derrière chaque sourire, derrière chaque victoire, il y a des centaines d’heures de travail, de litres de sueur, d’abnégation et de doute, de tests et de déroutes. Derrière chaque photo instagram, il y a des dizaines d’activités strava. Il n’y a pas de facilités, de passe-droits. Là où je suis différent d’autres, je suppose, c’est que je ne me tolère pas l’échec, que je déteste ne pas réussir, que je remets toujours le pied à l’étrier. Ma plus grand force, c’est mon mental, cette flamme en moi qui me refait à chaque fois chausser les baskets, qui m’entraine sous la pluie et le vent, qui me lance sur des sorties rythmées pour 30 kilomètres, qui me tient debout en bout de course. C’est de ne jamais rien lâcher, c’est l’envie de faire toujours mieux.
Leçon de vie
Comment expliquer un tel revirement ? A vrai dire je ne sais pas vraiment. Peut-être fallait-il que je trouve le sport dans lequel m’épanouir. Peut-être avais-je besoin d’un déclic. Aucune idée. Je n’ai pas fondamentalement l’impression de faire les choses autrement, et pourtant tout a changé.
Il est certain qu’encore aujourd’hui je serais certainement encore une buse dans quantité de sports. Il n’y a qu’à me voir tenter laborieusement de barboter dans l’eau pour s’en convaincre. Les ballons me font toujours autant peur, j’ai davantage envie de courir pour les fuir que pour taper dedans. Pourtant, j’ai changé d’état d’esprit par rapport au sport. Calvaire d’hier, bonheur d’aujourd’hui. Ce qui était autrefois ma peur hebdomadaire est devenu ma bouffée d’oxygène quotidienne. Ce supplément qui vient éclairer ma journée, me libérer de mes ondes négatives, me vider la tête, m’aider à m’évader et à tout oublier pour quelques instants.
Pour autant, ce n’est pas entièrement un reniement de ce que j’étais. Nous ne sommes pas dans Dr Jekyll & M. Hyde. J’ai toujours aimé les défis, le fait de faire toujours mieux, d’être meilleur aujourd’hui que je ne l’étais hier. Défis autrefois cantonnés à l’esprit, il me fallait juste trouver de quoi transposer ma hargne, mon envie, ma rage, dans une activité physique adaptée. Les sports d’endurance, où je retrouve le côté cérébral de la préparation au long terme, de la gestion physique et mentale sur toute la course, du défi sur et contre soi-même. Et puis il n’y a pas de ballon à se prendre dans la tête là au moins.
Aujourd’hui encore, je ne me vois absolument pas comme sportif. Tous les compliments m’assimilant à un « sportif », un « athlète », un « champion » (ouais les gens s’emballent beaucoup trop) me gênent, en mode « non ce n’est pas moi, il y a erreur sur la personne ». Je suis toujours au fond de moi le petit garçon nul en sport que personne ne voulait prendre dans son équipe. Je fais le job, du mieux possible, c’est tout. Je bosse, je fais des efforts, sans compter, sans m’épargner. Mais comme je l’ai toujours fait partout dans ma vie. C’est juste que désormais ça paie et ça se voit dans les résultats contrairement à autrefois. Encore que ce sont surtout les autres qui me le font remarquer, tant se focaliser sur les objectifs les uns après les autres me fait souvent perdre de vue le chemin parcouru depuis le début. Mais je ne me vois pas pour autant autrement. Je suis juste quelqu’un qui creuse tranquillement son sillon, progresse dans sa voie, tente des choses, réussit ou échoue, en s’étonnant toujours lui-même de ce qu’il arrive à faire.
Aussi ai-je du mal à mettre en regard ces deux personnes si diamétralement opposées, celui qui fuyait tout effort physique, et celui qui a noué une passion pour les marathons. Et pourtant, c’est juste moi, à deux périodes différentes. Ce que nous sommes à un instant T ne doit pas laisser présager de ce que nous serons demain. Je me donne à moi-même une leçon chaque jour comme quoi rien n’est impossible, que nous pouvons être ce que nous voulons, sans nous mettre de barrière. Autrefois, je me serais dit que jamais je ne tenterais ceci, aujourd’hui je me demande « si d’autres le font, pourquoi est-ce que je ne pourrais pas le faire aussi ? ».
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