Avertissement : Dans cet article il sera question de boue, de pluie, de brouillard, de sueur et de larmes. Non, tu n’es dans un récit d’épouvante, mais bien sur un récit de course. Ça fait déjà peur hein. Et attends la suite, ce n’est qu’un teasing. Mais il sera aussi question de mental, de détermination, de conviction et de dépassement de soi. Alors, prépare ton pop-corn, je t’emmène dans cette folle aventure que fut la SaintéLyon 2018.
Dernière de la saison
Après une saison déjà bien remplie et riche en découvertes, dépassements et records, j’étais prêt à finir en apothéose, à terminer sur un dernier coup d’éclat, un dernier défi lancé à moi-même : partir sur un trail long, sur la mythique SaintéLyon. La doyenne des courses nature, le légendaire trail pour amateurs éclairés, la fabuleuse carte postale de frontales essaimant la nuit. Et pas sur n’importe quelle édition mesdames messieurs, non non non, mais sur la plus longue de l’histoire, 81 kms entre St Etienne et Lyon, entre sentiers et bitume. Une édition hommage au traceur historique, Alain Souzy, qui avait laissé ce dernier itinéraire testament à notre intention : « Les coureurs ce qu’ils veulent c’est en chier. Et bien ils vont en chier ». Mission réussie Alain !
Alors pourquoi se lancer là-dedans déjà ? Bah ouais je suis plutôt un coureur de bitume parisien, qu’est-ce que je viens faire dans les champs de vaches lyonnaises ? Pour l’amour du challenge, pour aller me tester sur d’autres terrains, d’autres distances, pour aller toujours plus vite, toujours plus loin, toujours plus haut. 81 kms quoi, un Everest, un passage dans une autre dimension. Et de nuit qui plus est, sur une des courses les plus mythiques. Où est ce qu’on signe ?
La préparation pour la course a été somme toute pas bien compliquée : accumuler les kilomètres, encore et encore, et puis mettre de la vitesse tant qu’à faire pour préparer le semi-marathon de Boulogne en même temps. Résultat : plus de 500 kilomètres en 2 mois, sur le papier on est pas trop mal. Petite difficulté quand même pour corser le tout : un début de tendinite 2 semaines avant la course qui m’oblige à couper pendant 5 jours. Pas de quoi me décourager, je soigne ça fissa et courez jeunesse.
L’avant course
Après une bonne nuit de plus de 10h de sommeil (pas prêt de redormir moi), départ pour Lyon le samedi en fin de matinée pour récupérer le dossard. Je croise sur place d’autres Adidas Runners, récupère le précieux sésame, juste le temps de faire quelques photos (je le remplis avec quoi mon article sinon ?) et me voilà sur le départ pour St Etienne.
Petite ambiance de départ en colo dans les navettes de départ, où les concurrents saluent leurs familles à l’extérieur par la fenêtre. En revanche, ambiance plus sérieuse ensuite, puisque tout le monde profite du voyage pour… dormir. Arrivés sur place dans un grand gymnase, on se croirait dans un immense campement de romanos, où se côtoient tenues de running pour amateurs fortunés, sacs de couchages et matelas gonflables, et… parfois même des réchauds ! Manque plus que le ricard pour parfaire le tout.
Commence alors… l’attente. Oui, pas de riches péripéties à raconter ici. C’est un peu le calme avant la tempête, on attend tous le départ impatiemment, essayant de nous reposer avant une nuit qui s’annonce éprouvante. Grande aventure de la soirée tout de même : le passage aux toilettes. 45 minutes de queue pour ces messieurs, les dames sont mieux loties pour une fois. Avec tout cela, voilà que le moment de s’avancer vers la ligne de départ approche, et je m’en vais prendre ma place parmi les concurrents avec Delphine, une collègue, et son mari. Nous ne partirons malheureusement que dans la 4e vague, à 00h15, après 1h30 d’attente debout dehors, et surtout sous la pluie, de quoi commencer la course dans de bonnes conditions !
Crédits photo : We are media makers
Départ tout en gestion
Je démarre très tranquillement comme prévu, pour ne pas me griller. Ce qui ne m’empêche pas malgré tout de doubler énormément de monde très rapidement dès que le passage s’élargit. Ah, on ne se refait pas, les vieilles habitudes reviennent au galop. Oh, tu te calmes ! Malgré cela, j’ai du mal à rentrer dans la course, les mollets tirent sur les premiers kilomètres, et il faudra attendre 4-5 kilomètres pour que je me sente enfin lancé. La faute certainement à tout ce temps passé debout à attendre.
Les premières montées arrivent, gentillettes sur le bitume, moins sympas dans les sentiers avec la boue qui commence à s’accumuler. Il pleut en effet désormais sans discontinuer, et des flaques d’eau et de boue parsèment notre chemin, pour notre plus grand déplaisir. Je tente malgré tout de continuer à courir dans les montées quand elles ne sont pas trop raides, mais la progression est rendue très difficile par le fait que quasiment tous les coureurs marchent dès les premières ascensions. Des bouchons commencent déjà à se former, et entre fossés, tranchées de boue et frontales frissonnantes, il est parfois difficile de se frayer un chemin. Je me sens toutefois encore bien, j’avance peu à peu, les kilomètres filent, nous offrant des vues splendides sur les éclairages nocturnes des communes alentours, et surtout sur les serpentins de frontales s’étalant à perte de vue.
J’avance à un rythme satisfaisant, et arrive au premier ravitaillement (19e kilomètre) encore en forme, mais bien content d’avoir un peu de répit. Ce qui devait être un moment de repos est en revanche une belle galère, avec des centaines de coureurs agglutinés sous un barnum, essayant de se frayer un chemin vers les tables de ravitaillement. Je prends un verre de thé chaud, quelques quartiers d’orange, un peu de fromage, des pâtes de fruits et repart sans trop tarder.
Le moral dans les chaussettes (boueuses)
De retour sous le déluge, la portion à suivre est usante : 13 kms seulement, mais 13 kms de plus à patauger dans la bouillasse, à subir pluie et vent, à patiner dans les montées et glisser dans les descentes. Le terrain se fait de plus en plus difficile, et nous passons notre temps à sauter par-dessus des flaque d’eau, à nous enfoncer dans la boue et à nous rattraper dans des dérapages plus ou moins contrôlés.
Je continue à avancer, ne ressentant pas encore de grande fatigue physique, mais avec le moral glissant de plus en plus dans les chaussettes. Les premières douleurs apparaissent en revanche. Sous l’effet de l’humidité, mes pieds rapidement trempés ont commencé à gonfler et je ressens de fortes douleurs au tendon au niveau du laçage. Je m’arrête sur le côté pour détendre un peu le serrage, mais cela n’a que peu d’effet. Pire, ayant dû retirer mes gants pour ce faire, j’ai désormais les mains gelées. Au bout de 25 kms, je commence à ressentir une douleur au niveau du gros orteil droit, avec l’os qui frotte contre la chaussure. Je serre les dents et cela passe au bout de quelques kilomètres.
Crédits photo : We are media makers
Après cette portion quelque peu éprouvante, j’espère pouvoir reprendre des forces au ravitaillement de Sainte Catherine au 32e kilomètre. Et là c’est la douche froide. Littéralement. Seules les tables de ravitaillement sont abritées et nous sommes obligés de rester sous la pluie pour prendre de quoi nous sustenter. Pas de répit donc, nous resterons dans le froid et l’humidité. J’en prends un gros coup au niveau du moral : le prochain ravitaillement est à 14 kms, mais sans nourriture. Il reste donc 29 kilomètres à faire jusqu’au prochain vrai point de chute, et 50 kilomètres jusqu’à la fin. C’est dur mentalement, mais je reste concentré sur l’objectif et repars de plus belle.
Ne jamais abandonner
Coup de bol, les prochains kilomètres se déroulent sur bitume, ce qui me permet d’aligner une bonne distance en courant sans discontinuer, et de reprendre enfin du rythme et du plaisir. On ne se refait pas, j’aime la sensation d’aller cavaler dans les sentiers entre racines et bosquets, mais je n’en reste pas moins davantage à l’aise sur l’asphalte. Cela me redonne le coup de pouce dont j’avais besoin pour me relancer après ce coup de mou à Ste Catherine.
Nous repartons dans les sentiers, mais cette fois-ci le mental ne flanchera plus. Je prends mon temps, prend les choses le plus positivement possible en me disant que chaque mètre fait ne sera plus à faire. Et je progresse ainsi petit à petit, toujours concentré sur ma course et mes sensations. Je me fais la cheville plusieurs fois mais pas de gros bobos à signaler, je reste sur mes deux pieds pour l’instant. En revanche mon leggings a bien envie de se faire la malle lui. Alourdi par la pluie et surtout la boue, il a tendance à glisser et je dois régulièrement le remonter pour ne pas finir bien dépourvu.
A hauteur du 39e kilomètre, me voilà arrivé à la redoutable montée des Rampeaux : 750m, 200m de D+, une pente à 20% de moyenne. Ça tire sur les jambes et on n’en mène pas large. Je m’accroche aux arbres et pousse dessus pour m’aider à grimper, afin de soulager un peu mes pauvres muscles. Moment de réconfort toutefois avec ces fous de supporters là à 5h du matin en plein bois au milieu de nulle part pour nous encourager autour d’un feu de bois. Les supporters sont décidément au top sur cette course, ça fait chaud au cœur en cette froide nuit.
Nous arrivons ainsi au sommet de la course au niveau du Signal, qui nous permet d’observer une fois de plus les longues trainées de frontales. Je boucle ainsi la distance du marathon en 5h10, et à partir de maintenant ce sera donc voyage en terrain inconnu pour moi puisque je n’ai jamais couru davantage que cette distance. Une bonne descente par la suite dans le bois d’Arfeuille nous permet de dérouler et d’avancer tranquillement jusqu’au ravitaillement liquide de St Genou au 46e kilomètre.
Crédits photo : We are media makers
Un peu de brouillard pour pimenter le tout
J’y prends le temps de prendre plusieurs verres de thé bien chaud pour me réchauffer, de ravitailler mon sac en eau, et de recharger ma montre sur ma batterie externe, afin de m’assurer qu’elle tienne jusqu’au bout.
Je repars ensuite plein d’allant… pour me gameller quelques mètres plus loin. J’en serai quitte pour un bon bain de boue, heureusement pas de bobos. Nous continuons de progresser, mais le brouillard s’en mêle désormais, histoire que ça ne devienne pas trop facile tout de même. La visibilité n’était déjà pas fameuse par cette nuit noire, nous ne voyons désormais absolument plus rien. Ce qui rend le parcours d’autant plus difficile et laborieux, et je ralentis encore mon allure pour m’éviter des chutes malencontreuses.
Je prends mon mal en patience et continue de patauger dans la gadoue peu à peu. Nous avons fait la majorité du dénivelé positif désormais et le parcours paraît plus aisé. Les jambes deviennent en revanche plus douloureuses. Après 7h de course, la fatigue musculaire commence à se faire sentir. Pas d’envie de dormir en revanche, malgré une nuit blanche. Je reste totalement éveillé et concentré sur le parcours, ne pensant étrangement à absolument rien d’autre qu’à ma course.
Crédits photo : We are media makers
Le jour pointe enfin le bout de son nez vers 7h30, et sa matérialisation la plus concrète est… le chant du coq. Bah oui on est à la campagne quand même. Après que les ténèbres se lèvent et que les frontales s’éteignent, on revoit le sourire apparaître davantage sur les visages fatigués des trailers. Le mental remonte en flèche. Et la pluie s’achève peu à peu également. Des mots s’échangent plus facilement, alors que jusqu’ici un silence quasi religieux était roi depuis le départ. Oui, j’ai donc passé quasiment toute la course sans parler, et pourtant ça ne m’a pas semblé long.
Vers le 57e kilomètre, le terrain devient à nouveau totalement plat pour plusieurs kilomètres, et j’ai la joie de pouvoir enfiler à nouveau plusieurs kilomètres sans m’arrêter. Les jambes ne répondent pas trop mal, et j’arrive sur ces portions à avoir un rythme plus que correct malgré la fatigue : je tourne ainsi à une allure de 5’-5’10 au kilomètre à peu près, et je me sens pousser des ailes.
C’est pourtant ce moment ci que choisit mon genou pour me lâcher. En effet, je commence à avoir de sérieuses douleurs au niveau de la rotule et sait que je vais devoir composer avec pour le restant de la course. RIP petit ange parti trop tôt. De toute façon sur cette course j’ai l’impression d’être une voiture perdant peu à peu ses pièces au fil du temps. Ah tiens un enjoliveur en moins. Oups le rétroviseur. Tiens on vient de perdre la portière arrière. Baaaah, de toute façon ça ne servait à rien. Ah le pneu vient de crever. Je finirai donc sur la jante.
De la charcuterie et du bitume, que demander de plus ?
Arrivée au ravitaillement de Soucieu au 61e kilomètre, et là c’est le bonheur ! Un gymnase chauffé, et surtout de la bouffe à gogo ! De la charcuterie, du fromage, des TUC, des pâtes d’amande, je prends tout ce qui passe. Ça fait tellement du bien bordel. Et surtout, il ne reste plus que 20 kilomètres ! Ça peut paraître beaucoup, mais pour moi ça veut surtout dire qu’on se rapproche vraiment de l’arrivée. Plus que quelques heures avant de franchir cette fameuse arche d’arrivée.
Je repars tout guilleret malgré mon genou en carton. En sortant, je vois un bus avec à l’intérieur des coureurs habillés de couvertures de survie. Et là je me rappelle que oui certains ont dû abandonner pendant la course, que oui l’abandon est possible. C’est dingue mais en fait je n’ai pas une seule seconde pensé à abandonner pendant toute la course, même pendant les moments les plus compliqués, pendant les coups de mou. Un pied devant l’autre, c’est marche ou crève, rien ne m’arrêtera. Et très clairement, même si je suis crevé et que j’en ai marre, je me sens tellement mieux à ma place que ces pauvres qui se sont vus contraints de lâcher prise.
La suite jusqu’au ravitaillement suivant de Chanopost est essentiellement plat, et me permet de continuer à dérouler et à courir sur pratiquement toute cette portion. J’ai mal au genou mais je prends sur moi et cherche à enfiler le plus de kilomètres possible pour me rapprocher au plus vite de la fin. Tant et si bien que je fais cette partie de 9 kms en seulement 50 minutes malgré une bonne montée.
Arrivé à plus de 70 kilomètres et 9h de course, je suis toutefois très fatigué désormais, et ressent une assez grande lassitude. Plus simplement, j’en ai ras le cul. Je n’ai même plus particulièrement envie de manger, mais reste un moment toutefois sur ce dernier point d’arrêt pour me requinquer un peu pour cette dernière portion.
Je repars bien difficilement, handicapé par mes douleurs au genou, mais également les douleurs aux tendons des pieds qui deviennent plus intenses que jamais. J’essaie de desserrer les lacets, mais la boue accumulée sur mes chaussures rend l’opération compliquée, et rien n’y fait. La suite du parcours se fera donc dans la douleur, au mental, pour finir, pour la gloire d’achever cette SaintéLyon.
Arrivés à proximité de Lyon, il faut encore en passer par une très forte montée dans un lotissement qui nous achève. Les derniers kilomètres ne sont décidément pas cléments et nous devrons donc en chier jusqu’au bout : de longues enfilades d’escaliers à dévaler, un détour pour passer par les quais pour remonter d’autres escaliers,… Enfin l’arrivée au niveau du musée des Confluences, puis à proximité de la Halle Tony Garnier. Encore faut-il endurer une dernière perfidie des traceurs du parcours et faire tout le tour du bâtiment pour enfin débouler dans la dernière ligne droite et franchir cette satanée arche d’arrivée.
Une aventure hors du commun
Il me faut alors un petit moment pour réaliser vraiment ce qui vient de m’arriver, que je viens enfin d’achever un long parcours de 10h37, que ma course vient de finir, que j’ai rempli mon pari, que je viens de me dépasser pour aller chercher cette victoire, pour aller finir ces 81 kms. J’ai tellement de mal à réaliser que cela se finit là après une telle épopée, après une nuit si folle, que je mets bien 10 secondes à penser à éteindre ma montre. Je me dirige machinalement vers la remise des médailles.
Puis vient le moment de vraiment me rendre compte de ce qu’il se passe, de réaliser. Vient le moment de l’émotion tout simplement. Cette vague de soulagement, de satisfaction, de joie, de bonheur qui balaie tout sur son passage, qui m’envahit tout entier, comme jamais sur une course. Je sens les muscles de mon visage se mettre soudainement à trembler de manière incontrôlée, les larmes monter aux bords des yeux. Je souffle un coup, mais rien n’y fait, l’émotion est trop forte et je lâche les vannes, et les larmes coulent pendant plusieurs minutes sur mon visage. Cette course a été tellement folle, j’ai vécu et ressenti tellement de choses durant ces 10h37 d’épreuve, physiquement, mentalement et émotionnellement. Tout ressort, la pression redescend d’un coup et je me laisse submerger. Un moment tout simplement magique qui justifie à lui seul les doutes et douleurs de ce trail, qui apporte une touche finale d’une rare beauté à une aventure incroyable.
Je n’ai jamais vécu une course aussi dure, physiquement et mentalement, de par la distance et la durée bien sûr, mais surtout par les conditions. Et pourtant, malgré cet enfer de boue et d’humidité, cette nuit difficile, ces coups de mous, je conserve de cette expérience un merveilleux souvenir. J’ai obtenu tout ce que je venais chercher sur ce dernier défi de l’année : un challenge physique pour repousser et dépasser mes limites, me prouver que je pouvais aller au bout de mes envies et de mes rêves. Une sacrée aventure qui laissera quelques séquelles physiques (coucou mon genou grincheux), mais surtout un tas de souvenirs et d’émotions. Nul doute que d’autres défis de ce niveau suivront, sky is the limit !
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